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Un saut dans l’inconnu

publié le 6 février 2016 (modifié le 26 février 2017)

Un saut dans l’inconnu

Siskeen. Notre dernière escale dans un monde habité avant le début de la mission. Notre dernier contact avec la civilisation jusqu’à ce que nos six mois de vivres soient épuisés. Et quelle civilisation ! Une cantina miteuse, dans une ville qui sentait la rouille et la fange. Un mélange de repris de justice, de contrebandiers et de péquenots. Des boissons aux noms imprononçables, et aux effets dévastateurs. Des alcooliques qui prétendaient avoir tué des monstres gigantesques avec leur seul blaster. Des escrocs qui vendaient les coordonnées de planètes inconnues regorgeant de richesses. Bref, un monde de la Bordure Extérieure, aux portes de l’Espace Sauvage et des territoires Hutt. Une halte dangereuse, mais nécessaire.

Même si je répugnais à aller dans ce genre d’endroits, je ne pouvais pas faire autrement. Il m’était impossible de refuser cette dernière sortie à mon équipage. La seule chose que je pouvais faire, c’était de leur imposer de rester groupés, et de les accompagner. Armés, bien entendu. J’avais déjà connu trop de ces tavernes mal famées, où naissaient inévitablement des bagarres qui finissaient mal. J’avais perdu des amis, qui avaient eu pour seul tort de ne pas baisser les yeux devant le caïd du coin, ou de gagner une partie de Sabacc contre la mauvaise personne.

J’étais probablement le seul de notre petit groupe à ne prendre aucun plaisir à ce genre de sortie. Parfois je me disais que je devenais ringard. Mon âge – j’avais 60 ans – n’était pas la seule raison. La peur non plus. En tous cas, je n’avais pas peur pour moi. Mais je me sentais responsable de mon équipage, et de tout ce qui pouvait lui arriver. Et par-dessus tout, de la jeune Talamia, que je considérais comme ma fille.

Cette jeune Twi’lek était la bonne action de ma vie. La seule chose dont j’étais vraiment fier. Je m’étais juré de dépenser ma première paie de capitaine au long cours de manière utile. Au lieu de dilapider ma solde dans le premier tripot venu, comme la plupart de mes hommes, j’avais tenu parole. J’étais allé sur Orvax IV, et j’avais acheté cette jeune esclave twi’lek âgée d’à peine dix ans. C’est la chose la plus difficile que j’aie fait de ma vie. Non pas de libérer cette petite fille, bien sûr, mais de laisser les dizaines d’autres croupir au fond de leur fosse, et de supporter leur regard implorant sans rien pouvoir faire pour elles. Ma paie suffisait à peine pour en sauver une. Et toutes les paies suivantes furent consacrées à la faire vivre décemment.

Cela faisait quinze années standard que je m’occupais d’elle. Je ne dirais pas qu’elle a toujours vécu heureuse. Elle a dû beaucoup souffrir du manque d’affection, car je l’abandonnais seule dans sa pension pendant des mois, lorsque que je partais en voyage aux quatre coins de la galaxie. Mais elle s’est construite ainsi : forte, indépendante, mais reconnaissante. Après avoir achevé ses études de biologie sur Alderaan, elle avait choisi de rejoindre mon équipage. Je me plais à penser qu’elle n’avait pas fait ça pour payer une dette, mais qu’elle avait fait ce choix en femme libre. Par goût du voyage, peut-être. Comme moi à son âge.

Ses compétences en biologie étaient rarement utiles à bord. Nous n’avions pas encore eu cette chance. Elle occupait par conséquent le poste le plus important du vaisseau : celui de cuisinier ! Six mois de confinement loin de tout rendraient complètement fou s’il fallait se contenter des plats préparés par un vulgaire droïd cuisinier de type COO. Et fort heureusement, elle ne se savait pas seulement disséquer les plantes et les animaux, elle savait aussi les cuisiner de manière très variée.

Pour l’heure, elle semblait s’amuser dans cette cantina crasseuse, attablée à mes côtés avec les deux autres membres de l’équipage. Karden, notre mécanicien, et, occasionnellement, canonnier, était un Mon Calamari. Son air perpétuellement sérieux tranchait avec le sourire radieux de Talamia, mais ils s’entendaient comme larrons en foire. Jon Goviur, le nouveau géologue, en pinçait pour ma petite twi’lek. Il faisait tout son possible pour s’attirer ses faveurs, mais la belle faisait semblant de ne pas s’en rendre compte. Elle était trop intelligente pour commencer une amourette alors qu’ils allaient passer six mois piégés ensemble dans l’exigüité du vaisseau.

A mon grand soulagement, personne n’insista quand je proposai de rentrer au vaisseau. Je crois que les autres aussi avaient remarqué les deux Abyssins qui commençaient à s’échauffer au comptoir. Parvenus sans encombres au dehors, nous regagnâmes le vaisseau en se payant un taxi-speeder. Nous fûmes accueillis assez froidement par mon second, Forbus Miros, qui était resté à bord, comme à son habitude. En bon Duros, il ne vivait que pour le voyage et l’exploration. C’était un astrogateur et un cartographe hors pair. Pour lui, boire un dernier verre sur Siskeen avant de s’enfoncer dans les immensités désolées n’était qu’une perte de temps. Je n’eus pas besoin de lui demander si les réserves de vivres et d’énergie avaient été faite ; je savais que le vaisseau était prêt à partir.

*

Après avoir passé plus de trois mois sur zone, il est vrai que je regrettais Siskeen et ses gargotes miteuses. Le travail était ennuyeux au possible. Mandatés par la Faraway Mining Company pour découvrir de nouvelles ressources exploitables, il nous fallait nous aventurer loin des routes hyperspatiales connues. Les mines trop près des mondes du centre avaient de bonnes chances d’être réquisitionnées un jour par l’Empire, qui étendait sa mainmise plus loin que l’Ancienne République ne l’avait jamais fait. Il ne fallait pas non plus s’approcher de trop près des territoires Hutt, ces derniers prisant fort peu la concurrence. C’est pourquoi nous évoluions aux confins de la Bordure Extérieure. Autant dire au bord du précipice, ou sur le fil d’un rasoir.

La procédure était répétitive au possible. Pour s’approcher des quelques systèmes supposés vierges que nous avions localisés grâce à notre télescope à longue portée, il fallait procéder par petits sauts. A chaque étape, nous envoyions en éclaireur un petit vaisseau doté d’hyperdrives, et piloté par une unité R2. Le saut de puce était pré-programmé par Forbus Miros, tout comme le voyage inverse. Le droïd était chargé d’effectuer diverses mesures sur place (radioactivité, rayonnement magnétique, gravité, température, présence de corps célestes), avant de commander le saut du retour. Quand l’engin disparaissait dans l’hyperespace, il n’y avait plus qu’à attendre qu’il revienne, pour analyser les données. Le vaisseau-sonde et son droïd étaient « sacrifiables » : s’ils ne revenaient pas, c’est qu’ils avaient rencontré un problème en route ou à destination. Nous savions alors que la voie n’était pas praticable, et il fallait tout recommencer. La mission était finie. Adieu la prime.

Quand, de proche en proche, nous arrivions à ouvrir une route vers un système vierge ou un astéroïde de taille conséquente, la vraie exploration commençait. Goviur devait essayer de localiser un minerai précieux, ou tout autre matériau exploitable. Il avait pour cela à sa disposition tout un arsenal de spectroscopes, radars, gravitomètres, détecteurs à ultrasons et autres senseurs sophistiqués. S’il jugeait le sol prometteur, une autre équipe viendrait profiter de la route nouvellement ouverte pour mener des recherches plus approfondies.

Nous en étions à notre trente-septième saut depuis le début de la mission. Nous avions déjà passé plus de trois mois à nous enfoncer chaque jour un peu plus dans l’obscurité totale, loin de tout monde habité. Notre drone était à chaque fois revenu sans encombre de ses sauts de puce, posant ainsi les jalons d’une route dans l’inconnu. Mais ce jour-là, quelque chose d’inattendu se produisit. Le vaisseau sonde émergea comme prévu de l’hyperespace, mais l’unité R2 n’était plus aux commandes. Le droïd avait disparu, et le vaisseau était revenu sans pilote.

Comment était-ce possible ? Le droïd s’était-il éjecté juste après avoir actionné l’ordre de retour ? S’était-il détaché par accident ? Avait-il été mal arrimé dans sa nacelle ? Il n’était certes pas protégé par un cockpit, mais de là à se décrocher du vaisseau…

En attendant de prendre une décision, le drone fut rentré à l’intérieur de la soute.

* *

L’équipage était perplexe. Aucune explication ne semblait satisfaisante. Alors Talamia proposa d’aller voir ce qu’il y avait à l’extrémité du saut hyperspatial qu’avait fait le vaisseau-sonde. Je m’y opposai, mais bientôt un débat animé eut lieu entre mes compagnons.

J’étais le capitaine à bord, mais les décisions qui engageaient la vie de l’équipage étaient parfois soumises au vote, quand elles ne devaient pas être prises dans l’urgence. Evidemment, Jon Goviur s’était rallié à ma petite twi’lek. Karden était le seul à s’y opposer, et Forbus Miros gardait le silence. Mais c’est lui, pourtant, qui finit par avoir le dernier mot. Le Duros annonça calmement qu’il se sentait capable de calculer un saut qui amènerait notre vaisseau à un jour de voyage subluminique du point de chute du droïd. Assez loin pour éviter les dangers de la zone où s’était perdue notre unité R2, selon lui. Et assez près pour pouvoir évaluer la situation.

Son assurance finit par nous convaincre. Mais c’est tout de même rongés par le doute que nous avons attendu la fin de ses calculs. Finir absorbés par un trou noir ou pulvérisés dans un champ d’astéroïde n’était pas le sort auquel nous aspirions. C’était pourtant le risque que nous allions prendre, en tentant ce saut dans l’inconnu.

Enfin, Miros se redressa de sa console. Tout l’équipage s’installa aux postes de pilotage (et de combat). D’un hochement de tête, je fis signe à mon second d’entrer dans l’hyperespace.

* * *

Au sortir du micro-saut, nous étions tous aux aguets. Mais aucun instrument de mesure ne détectait un quelconque danger. Autour de nous, il n’y avait que l’immensité de l’espace : vide, froid, et noir. Nous avons alors lancé le vaisseau à toute vitesse vers l’endroit où le drone était sorti de son propre saut, quelques heures plus tôt.

Le trajet devait durer presque un jour standard, mais personne ne voulut aller dormir. Tout le monde scrutait les senseurs, à la recherche de la plus infime anomalie. En vain. Mais deux heures avant d’arriver à destination, nous détectâmes ce qui semblait être un petit champ d’astéroïdes, qui s’étendait jusqu’à l’endroit où avait dû émerger le drone. Cette découverte nous rassura quelque peu. La présence de ces corps célestes n’expliquait pas complètement la disparition du droïd, mais en était probablement, d’une manière ou d’une autre, à l’origine. Peut-être un petit astéroïde avait-il percuté le petit robot, dont la tête dépassait de la carlingue du vaisseau, et l’avait éjecté dans l’espace ?

Dès lors, nous avançâmes plus prudemment, de peur de percuter un objet trop petit pour être détecté par nos senseurs. Les écrans énergétiques dirigés vers l’avant du vaisseau, nous poursuivîmes en direction du lieu de disparition du droïd. Peut-être allions-nous le retrouver, dérivant dans l’espace, en train d’émettre ses bipbips caractéristiques ?

Arrivés approximativement à l’endroit voulu, il fallut se rendre à l’évidence : le petit robot n’était pas visible. Mais alors que nous sondions l’espace à la recherche de son corps métallique, la sirène d’alarme du vaisseau retentit : une anomalie gravitationnelle avait été détectée. Dans ce cas, la fuite dans l’hyperespace est souvent le pire des réflexes. En effet, les ondes gravitationnelles affectent considérablement les trajectoires dans l’hyperespace, et le vaisseau peut arriver n’importe où – y compris en plein milieu d’un soleil. Autant jouer à la roulette mandalorienne avec un blaster chargé !

Nous concentrant sur les senseurs, nous essayions de traquer l’origine de cette anomalie. Un astre invisible était-il en train de nous attirer ? A l’évidence, non. La trajectoire du vaisseau n’était pas altérée. L’alarme se tut. Puis elle se déclencha de nouveau quelques minutes plus tard. Goviur parvint alors à localiser la zone où avait été détectée l’anomalie, et nous focalisâmes tous nos senseurs dans sa direction. Je demandai par précaution à Miros de nous programmer très vite un saut de repli, mais je savais qu’il était déjà en train de le calculer.

Lorsque l’alarme fit entendre sa sonnerie stressante pour la troisième fois, quatre paires d’yeux étaient focalisées sur les senseurs de bord. Et nous vîmes alors un des points de l’écran changer de trajectoire pour se diriger hors du champ d’astéroïdes. Au bout de cinq secondes, il disparut complètement. Inexplicablement.

Le phénomène se reproduisit une seconde fois. Alors, la prudence cédant à la curiosité, nous dirigeâmes le vaisseau vers cette zone.
Progressivement, des formes floues commencèrent à se dessiner sur nos écrans. Ce n’étaient ni des astéroïdes, ni des vaisseaux. On aurait dit des raies géantes. La plus grande faisait un kilomètre de diamètre. Ces choses étaient vivantes, j’en suis certain. Et elles se nourrissaient d’astéroïdes, qu’elles arrivaient à attirer jusqu’à elles par on ne sait quelle magie. On aurait dit des rayons tracteurs d’une puissance et d’une précision fantastiques. Nous vîmes la plus énorme de ces créatures happer un astéroïde grand comme dix fois notre vaisseau, et l’engloutir en s’enroulant autour.

Ce spectacle était grandiose et terrifiant à la fois. Jamais nous n’avions entendu parler de tels monstres. Notre pauvre droïd avait dû être aspiré par l’un d’eux. Malgré le danger que nous courions de subir pareil sort, nous ne pouvions détacher nos yeux de ce banquet titanesque.

Karden fut le premier à recouvrer ses esprits. Il nous suggéra de quitter les lieux, et je repris les commandes du vaisseau pour nous éloigner du danger. Une fois à bonne distance des perturbations gravitationnelles générées par ces monstres, nous entrâmes dans l’hyperespace pour revenir sur nos pas. Tout l’équipage restait muet, abasourdi.

Je donnai l’ordre à Miros de programmer le voyage retour jusqu’au point de départ. Sans drone, de toute façon, l’exploration était terminée. Adieu la prime !

* * * *

Siskeen. Une cantina miteuse, dans une ville qui sentait la rouille et la fange. C’était toujours mieux que l’odeur de renfermé de notre vaisseau, que nous supportions depuis des mois. Autour de nous, un mélange de repris de justice, de contrebandiers, de péquenots, et des alcooliques qui prétendaient avoir vu tué des monstres gigantesques avec leur seul blaster.

Peut-être qu’ils exagéraient un peu.

Certains disaient peut-être même la vérité. Les fous ne sont pas toujours ceux qu’on croit. En fait, les fous sont généralement ceux qu’on ne croit pas…