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Rossel

publié le 11 mars 2016 (modifié le 31 mars 2016)

Rossel

A cette époque, j’hésitais entre devenir chasseur de primes indépendant, ou rester affilié à la Guilde. Cette dernière prélevait des commissions bien trop importantes à mon goût, et ne me confiait que les missions qui n’intéressaient personne. Les cibles avec une belle prime étaient réservées aux vétérans et aux copains des responsables. Il ne restait que les miettes pour les types comme moi, qui n’avaient pas la chance d’être pistonnés.

Pour une fois, Harek Maan, mon responsable, m’avait refilé une mission qui pouvait me rapporter gros. La cible, qu’on appelle « acquisition » dans le jargon de la Guilde, s’appelait Fremont Rossel. C’était une grosse tête de scientifique qui s’était enfui de sa société en emportant avec lui des dossiers top-secrets. La société en question, Calinway Corp, fabriquait des répulseurs. Rossel était ingénieur dans un laboratoire, et semblait bosser sur un projet de haute technologie. Il avait dû être payé par une firme concurrente pour refiler les résultats de ses recherches. Calinway Corp offrait 25 000 crédits pour la capture du traître vivant, et autant pour récupérer les fichiers volés.

Un épais dossier sur l’acquisition était fourni par Calinway. Il y avait tout le pedigree du bonhomme, depuis sa première culotte jusqu’à son embauche par la firme, trois ans auparavant. C’était un orphelin originaire de Socorro, dans la Bordure Extérieure (je commençais à comprendre pourquoi Harek Maan m’avait refilé le bébé : personne n’avait envie d’aller dans ce coin paumé). Gamin, il était tellement doué à l’école qu’il avait obtenu une bourse pour aller étudier dans une grande université sur Naboo. Il avait ensuite été embauché par la prestigieuse SoroSuub, sur Sullust, avant d’accepter un poste d’ingénieur chez Calinway Corp, dans le Secteur Corporatif. D’après son dossier, il n’avait ni ami, ni famille proche. En cas de capture, le fugitif devait être remis aux autorités du Secteur Corporatif, sur Bonadan.

Je savais maintenant pourquoi aucun vétéran n’avait voulu prendre cette chasse. Il était logique de commencer cette traque à Sorocco, Naboo, ou Sullust, mais il fallait ensuite traverser toute la galaxie pour le livrer jusqu’au Secteur Corporatif. Dans le meilleur des cas, cette mission me prendrait un mois rien qu’en transports. Et comme je ne disposais pas d’une navette personnelle, il me faudrait prendre des vaisseaux de ligne, comme un vulgaire touriste.

Je décidai de transformer ce handicap en avantage. J’allais passer des semaines à bord de transporteurs et faire escale sur une bonne dizaine de planètes. J’allais donc croiser beaucoup de monde. Autant mettre ce temps à profit pour localiser d’autres cibles. Je me procurai auprès de la Guilde des lunettes d’identification. Cette petite merveille avait l’apparence d’une vulgaire paire de lunettes de soleil, mais contenait une caméra miniature, une puce de données, et un logiciel de reconnaissance d’individus. Je fis mettre à jour la puce pour y embarquer la liste des « plus recherchés » (les pires criminels de la galaxie), les avis de recherche galactiques, ainsi que les avis émis par les secteurs et planètes où j’allais vraisemblablement passer.

Je n’étais pas connu, et je n’avais pas encore d’ennemi suffisamment puissant (ou rancunier) pour lancer des tueurs à gages à mes trousses. Je pouvais donc me permettre de laisser mon armure de chasseur de primes dans mes bagages pour voyager incognito. En me mêlant à la foule, j’allais voir des milliers d’individus, et l’un d’eux serait peut-être identifié par les lunettes. Il me suffirait alors de signaler sa localisation à la Guilde pour être en droit de réclamer une partie de la prime, si un collègue utilisait l’information pour capturer le fugitif.

Comme autre équipement inhabituel, je choisis de me procurer auprès de la Guilde une fiole de sérum de vérité. Si je parvenais à capturer mon acquisition vivante, il me faudrait la faire parler pour savoir où elle avait caché les fichiers à ramener, et, contrairement à mes collègues rodiens ou trandoshans, je n’avais aucun goût pour la torture. Je ne pris pas d’arme lourde autre que mon fidèle blaster, mais emportai des grenades fumigènes. En effet, si je n’avais pas grand-chose à craindre de la cible elle-même, j’allais avoir davantage de difficultés si elle était déjà sous la protection d’une autre firme. Il me faudrait alors potentiellement l’exfiltrer au nez et à la barde de ses gardes du corps, et les fumigènes feraient une bonne diversion.

Je réussis à négocier une avance de frais de la part de la Guilde : assez pour payer mes déplacements, y compris un éventuel trajet pour deux personnes jusqu’au Secteur Corporatif. Enfin, je me fis remettre une preuve de prime agréée par le BICE (le Bureau d’Investigations Criminelles de l’Empire), afin de pouvoir justifier que ma cible était bien un criminel recherché. Il n’y a rien de pire que de se faire arrêter soi-même par les flics suite à une capture musclée, et de voir sa prise libérée car inconnue dans leur système.

*

Mes bagages bouclés, je me rendis à l’astroport où je devais prendre dans la nuit une navette empruntant la Piste Corellienne, cette longue route hyperspatiale qui part du noyau pour se perdre dans les Espaces Sauvages. Les douanes me firent quelques difficultés en trouvant mon blaster lourd et les grenades fumigènes dans mon sac, mais mon Permis Impérial de Maintien de la Paix était en règle, et je pus embarquer avec tout mon attirail. J’avais réservé une cabine individuelle en troisième classe. Elle s’avéra tellement exiguë que j’eus du mal à y caser l’énorme sac qui contenait mon armure. Je passai ensuite les deux heures qui me séparaient du départ à observer les autres voyageurs embarquer et débarquer de l’immense vaisseau de ligne. Aucun individu suspect ne fut identifié par mes lunettes.

S’écoulèrent alors des jours ennuyeux au possible. Je commençais à connaître le dossier de mon acquisition par cœur. Je passais mes journées à arpenter les salles de loisir et les coursives. J’essayais généralement de passer en même temps que les employés ou les droïds d’entretien, en essayant de jeter un œil par l’entrebâillement des portes quand ils pénétraient dans une cabine pour faire le ménage ou servir un repas.

A chaque escale, je me postais près d’une issue, pour scruter le flot des voyageurs qui entraient ou sortaient. Mais la chance n’était pas avec moi : les lunettes n’identifiaient aucun fugitif. Après sept jours de cette routine, je commençais à douter de leur efficacité.

Heureusement, j’eus une première touche lors de l’escale sur Andosha II. Les lunettes vibrèrent et firent clignoter la silhouette d’un Aqualish qui descendait du vaisseau. Il correspondait, avec 87 % de certitude, à Glosh Maliki, recherché pour meurtre, avec une prime de 15 000 crédits aux fesses. Je ne l’avais pas croisé sur le vaisseau avant : il avait dû être discret.

Je n’avais aucun permis de cible sur la tête l’Aqualish, ni de permis sectoriel. Je ne pouvais donc pas l’appréhender moi-même. Comme de plus il n’y avait pas de bureau de la Guilde sur cette planète récemment colonisée, je dus garder l’information jusqu’à mon arrivée sur Mon Gazza. Mais je réussis à me procurer, en soudoyant un employé de la navette, la liste des passagers à destination d’Andosha II. Aucun Aqualish n’y figurait. Par contre, un petit "complément" me permit d’obtenir la liste des passagers encore à bord. Il y avait trois Aqualish parmi eux. Je retrouvai rapidement les deux premiers. Sans intérêt. Par contre, le dernier était introuvable, et sa cabine, la C-3472, vide. Cette canaille avait brouillé les pistes en achetant un billet pour Mon Gazza, notre prochaine escale, mais était descendue à Andosha. Cela confirmait mes soupçons. A mon sens, je venais de passer de 87% de certitude à 99% !

Mon Gazza n’a d’autre intérêt que d’être un carrefour entre la Piste Corellienne et la Route des Epices de Llanic. Je devais de toute façon y descendre pour changer de navette. J’en profitai pour signaler au représentant local de la Guilde la présence sur Andosha II de l’Aqualish recherché, ainsi que son nom d’emprunt, tel qu’il figurait sur les registres de la navette. Le marchandage fut rude, mais je parvins à négocier 20% de la prime que toucherait le collègue qui utiliserait mon tuyau. C’était toujours ça.

Il me fallut dormir sur place, dans un hôtel miteux donnant sur l’astroport, avant de pouvoir prendre la prochaine navette pour Socorro. Le voyage jusque là-bas fut tout aussi ennuyeux que le précédent, mais heureusement beaucoup plus court. Je me retrouvai ainsi sur la planète natale de Fremont Rossel deux semaines après le début de ma chasse.

* *

Socorro était aussi déprimante que Tatooine : c’était une planète quasi-désertique, couverte de sable, où émergeaient çà et là quelques villages ou fermes isolées. Il y faisait très chaud, mais heureusement, mon armure climatisée m’évitait ce désagrément.

Il me fallut louer un speeder pour rejoindre le trou paumé d’où ma cible était originaire. Arrivé aux abords de ce groupement de maisons semi-enterrées, je camouflai mon véhicule derrière une dune, et commençai ma surveillance aux macro-jumelles. Le soir, alors que le soleil brillant commençait à rougeoyer à l’horizon, j’avais compté 37 habitants dans le village, dont 10 enfants. Aucun ne semblait armé, et aucun n’était ma cible. Je n’étais pas étonné outre mesure : pourquoi un homme qui avait connu des mondes plus évolués, et qui n’avait pas de famille, serait-il revenu dans un tel trou ?

Je sortis alors de ma cachette, et pénétrai dans la bourgade, en direction de ce qui semblait être une cantina délabrée. Les villageois avaient visiblement peur de moi. Ça me convenait parfaitement. Ils ne devaient pas voir tous les jours un chasseur de primes en armure intégrale, et se demandaient avec crainte ce que je pouvais bien faire là.

Je choisis de commencer par la manière douce : j’offris une bière à deux bouseux attablés, et leur demandai cash où je pouvais trouver Fremont Rossel. Ils échangèrent un regard. C’était bon signe : ils connaissaient le bonhomme. L’un d’eux finit rapidement son verre, comme s’il n’était pas sûr de pouvoir le faire plus tard, et me répondit que Rossel ne vivait plus au village depuis longtemps. Mais en continuant à le questionner, j’appris qu’il y était passé deux semaines plus tôt, pour se recueillir sur la tombe de sa sœur. Sa sœur ? Son dossier n’en faisait pas mention. Ce genre d’oubli n’était pas habituel dans les grandes corporations, qui n’hésitaient pas à engager des détectives pour se renseigner sur le passé des cadres avant de les embaucher.

Je ne pouvais rien tirer de plus de ces deux-là. Je leur demandai la direction du cimetière, et sortit du bar, à leur grand soulagement. Arrivé là-bas, une grande pierre plate couchée sur le sol, et portant une inscription gravée à la main, me confirma qu’une dénommée Linza Rossel était bien enterrée ici. Le décès remontait à deux mois.

Rossel était reparti. Je fis de même, direction Naboo. En suivant ainsi le fil de la vie de mon acquisition, j’avais l’impression de me rapprocher d’elle. Je commençais à ressentir l’excitation si particulière de la chasse, comme un prédateur flairant sa proie.

* * *

J’aimais bien Naboo. Elle avait beau être sacrément loin du noyau, cette planète n’était pas arriérée. Ses bâtiments caractéristiques, avec des dômes, semblaient avoir une âme. On était bien loin des tours de plastacier de Coruscant. Et puis, l’Empereur Palpatine venait de Naboo. Ce n’était pas rien.

J’hésitais entre garder mon armure, ou l’enlever pour passer inaperçu. En voyant les passants dans la rue se retourner sur mon passage, je choisis la seconde solution. Je déposai mon matériel dans une consigne près de l’astroport, et gagnai le centre-ville comme un vulgaire civil. Je conservai uniquement un mini-blaster dans ma sacoche, à côté des menottes magnétiques qui ne me quittaient jamais. Je me rendis dans le quartier de l’université qu’avait fréquenté Rossel, et trouvai un logement chez l’habitant pour une semaine. Officiellement, j’étais un journaliste venu faire un reportage sur l’université. J’inventai une histoire sur un classement des meilleures écoles de sciences, que mon hôte goba sans broncher, sans doute flattée à l’idée que sa planète puisse faire partie du gratin de la galaxie !

Décidément, j’avais bien fait de me passer temporairement de mon armure. Je pus facilement obtenir des informations sur les confréries étudiantes, les résidences, les cantinas à la mode, et les entreprises qui gravitaient autour du campus. Je passais 16 heures par jour à déambuler dans les lieux où Rossel avait traîné ses guêtres dix ans auparavant, mais je n’avais pas encore une fois prononcé son nom. Je sentais que le bonhomme avait dû revenir sur Naboo, sans en connaître la raison. Voulait-il retrouver un amour de jeunesse ? Avait-il la nostalgie des lieux où il avait été étudiant ?

Après cinq jours passés à arpenter les différents quartiers étudiants de la ville, je le vis. Il était dans une agence qui diffusait sur une vingtaine d’écrans des offres d’emploi venues des quatre coins de la galaxie. Cela me surprit. Je l’aurais plutôt imaginé dans l’arrière-salle d’une cantina, à monnayer des secrets technologiques avec un émissaire d’une corporation.

Je le surveillai discrètement, et sortit à sa suite lorsqu’il quitta l’agence. Je choisis de ne pas lui mettre le grappin dessus tout de suite : je voulais qu’il me mène à sa planque d’abord. Il ne semblait pas se méfier, ce qui m’arrangeait. Avec un peu de chance, il m’amènerait lui-même aux documents que je cherchais !

Ma filature fut de courte durée : il pénétra assez vite dans un petit immeuble semblable à celui dans lequel je logeais. J’en fis rapidement le tour, pour vérifier qu’il n’y avait pas d’autre issue. Mais non, c’était juste une habitation banale, et je sentis l’excitation monter dans mon échine. J’allais bientôt prendre possession de mon acquisition. En attendant la nuit, je réfléchis à un plan.

Il faudrait interroger ma cible après l’avoir capturée, ce qui risquait d’être un peu bruyant. J’avais beau avoir un permis en règle, je n’avais pas envie d’attirer l’attention des voisins ou des autorités. Je pris donc contact avec la Guilde locale, qui disposait certainement de cellules de détention, ou même des salles d’interrogatoire. Une fois la logistique réglée, je retournai à l’astroport pour récupérer et revêtir mon armure. Je ne m’imaginais pas amener mon acquisition à la Guilde habillé comme un touriste : j’aurais été la risée de la profession.

Ainsi équipé, je retournai me planquer en face de l’immeuble pour le reste de la nuit.

* * * *

J’eus longuement le temps de douter cette nuit-là. Rossel était-il sorti pendant mon absence ? L’immeuble avait-il une issue souterraine ? Est-ce que l’ingénieur n’essaierait pas de se donner la mort plutôt que de parler ? Mais en milieu de matinée, l’oiseau sortit enfin de son nid. Je le suivis à quelques pas, me rapprochai de lui dans une rue peu fréquentée, et l’assommai d’un coup de ma matraque à décharge, juste derrière la tête. Pas très élégant, certes, mais redoutablement efficace. Mon acquisition s’écroula comme un château de cartes. Une fois menottée, je la chargeai sur mes épaules, et pris la direction de la Guilde.

Sur place, après avoir justifié mon identité et celle de Rossel, je pus commencer mon tête-à-tête avec mon acquisition. Pour la forme, je lui demandai où étaient les dossiers qu’il avait volés. Je voulais savoir quel mensonge il me sortirait. Évidemment, il nia les avoir. Il prétendit que tout cela n’était qu’une machination, qu’il travaillait pour la Calinway Corp contre son gré, qu’il avait réussi à s’enfuir, mais qu’il n’avait rien emporté.

Je le laissai déballer tout son baratin, puis sortis de ma sacoche la capsule de sérum de vérité. Il commença à pâlir un peu quand il me vit préparer la seringue.
– Qu’est-ce que vous allez faire ?
– Te faire dire la vérité.
– Mais je dis la vérité.
– C’est ce qu’on va voir.

Je lui injectai une dose de sérum, et attendis dix minutes qu’il fasse effet. Rossel ne dit rien. Il attendit aussi, résigné. Puis je repris mon interrogatoire :
– Quel est ton nom ?
– Je m’appelle Fremont Rossel.
– Où es-tu né ?
– A Valaconda, sur Sorroco. C’est un petit village paumé dans le désert.
– Qui t’a élevé ?
– Au début, mes parents. Mais ils sont morts quand j’avais 5 ans. Ensuite, j’ai été placé dans un orphelinat.

Je me foutais pas mal de ses réponses. Je voulais juste le faire parler, et m’assurer qu’il avait bien le ton monocorde des humains soumis au sérum. Ça semblait le cas. Avant de passer aux choses sérieuses, j’essayai quand même de satisfaire ma curiosité :
– Est-ce que tu as des frères et sœurs ?
– J’avais une sœur, mais elle est morte.
– Il y a longtemps ?

Il sembla faire un effort. C’était bon signe : le sérum altère la notion du temps chez les sujets les plus sensibles. Il finit par répondre :
– Un mois ou deux.

Pas mal. Il n’était pas trop embrouillé par le sérum. On pouvait entrer dans le vif du sujet :
– Qu’as-tu volé à la Calinway Corp ?
– Rien.
– OK. On va dire les choses autrement. As-tu emporté des documents ou quoi que ce soit d’autre qui soit important aux yeux la Calinway ?
– Non.

Surprenant. Je ne pensais pas ce type capable de mentir sous l’emprise du sérum. J’essayai un autre angle d’attaque :
– Que faisais-tu pour la Calinway ?
– Je travaillais dans un laboratoire de recherche. Nous devions mettre au point un nouveau répulseur ionique.
– Avec qui travaillais-tu ?
– Des autres ingénieurs, des chercheurs. Ils avaient tous été contraints de travailler pour la Calinway.
– Contraints ?
– Oui. Plusieurs avaient été enlevés. D’autres croulaient sous les dettes de jeu, et avaient été mis au vert par la Calinway. Certains s’étaient vus accuser à tort de meurtre, et étaient recherchés pour être exécutés. La Calinway les exploitait en menaçant de les livrer aux autorités.
– Et toi dans tout ça ?
– Ils m’avaient fait miroiter un poste de chef d’équipe et une belle paie. C’est pour ça que j’ai quitté la SoroSuub. Mais quand je me suis rendu au siège de la Calinway, dans le Secteur Corporatif, un sale type nommé Colmer m’a pris mes papiers, et m’a fait voir un holo de ma sœur, sur Soccoro. Ils m’ont dit que si je ne leur obéissais pas, ils la tueraient.
– Et tu les as crus ?
– Bien sûr. Ces types sont capables de tout. Une fois, un ingénieur s’est enfuit. Le lendemain, ils nous ont amené son cadavre dans le laboratoire. Pour nous montrer à quoi il fallait s’attendre si on désobéissait.
– Mais tu t’es enfuit quand même ?
– Oui. J’avais réussi à pirater le réseau informatique interne depuis un petit moment déjà. J’arrivais à avoir accès à notre courrier, qui était intercepté, et ne nous était jamais donné. C’est comme ça que j’ai appris que ma sœur était morte. Il y avait un message de Soccoro qui disait qu’elle avait eu un accident dans la ferme où elle travaillait.

Mince. Ce type disait la vérité, j’en étais sûr. Mon acquisition n’était pas un criminel, mais une victime. Et j’allais devoir le remettre à ses tortionnaires. Je tentai une dernière fois :
– Mais tu as bien pris quelque chose dans le laboratoire, quand tu es parti. Tu as bien emmené un truc qui appartenait à la Calinway ?
– Non, rien du tout. C’étaient de trop mauvais souvenirs. Je ne voulais rien emmener qui me rappelle ces années passées à bosser dans la peur, pour rien.

Mince. Ce type disait la vérité. La Calinway et l’Autorité du Secteur Corporatif nous avaient manipulés. Et la Guilde était probablement complice. Je savais maintenant vraiment pourquoi cette mission n’avait pas été confiée à un vétéran. Je n’étais pas sensé découvrir la vérité sur Rossel et la Calinway, mais faire le boulot bien gentiment sans poser de questions. Et il n’y avait pas de documents à récupérer ; je pouvais m’assoir sur la moitié de la prime. Je m’étais fait avoir en beauté…

* * * * *

Le voyage jusqu’au Secteur Corporatif fut plus que morne. Déprimant. Je partageais ma cabine de troisième classe avec un Rossel prostré. Il restait silencieux, le regard vide. Pas une seule fois il ne m’a supplié de le relâcher. Il devait savoir que j’étais tenu par le code d’honneur de la Guilde : ne jamais laisser échapper une acquisition, même si elle offrait dix fois le montant de sa prime. Et de toute façon, la Guilde savait que je tenais Rossel. Le libérer, c’était au mieux me couvrir de honte et être viré, et au pire, avoir mes collègues aux trousses pour me faire la peau.

Je le remis donc aux autorités du Secteur Corporatif, et touchai ma prime. Je ne sais pas ce qu’il est devenu après. J’espérais qu’il était assez doué dans son domaine pour qu’ils l’emprisonnent de nouveau dans son laboratoire, plutôt que de l’exécuter.

Quant à moi, j’ai démissionné de la Guilde quelques mois plus tard. Les années qui ont suivi ont été difficiles. Hors de la Guilde, on est seul, et les prises sont rares. Mais la chance a fini par me sourire. J’ai sympathisé avec un chasseur de la Maison Benelex, qui m’a coopté. C’est une Guilde qui se consacre exclusivement à la recherche de personnes kidnappées. Ça ne rapporte pas beaucoup, mais au moins, j’ai la conscience tranquille. Et vous ne serez pas surpris d’apprendre quel nom de code j’ai choisi au sein de cette Guilde : Rossel.