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Le vieillard

publié le 28 mai 2016 (modifié le 18 décembre 2016)

Le vieillard

Le rapport du légiste était formel : les deux Anzati avaient été taillés en pièces par un sabre-laser.

Vador releva la tête du procès-verbal qu’il avait survolé jusque-là sans intérêt. Il ordonna à son aide de camp, qui attendait immobile devant son bureau :
– Capitaine Galist, faites préparer ma navette. Nous partons dans une heure.
– A vos ordres, seigneur Vador. Doit-on programmer un saut dans l’hyperespace ?

Vador revint à la première page du rapport :
– La planète Ukio, dans le secteur Abrion.
– Tout de suite, seigneur Vador !

Le jeune capitaine Galist tourna rapidement les talons après un dernier salut règlementaire. Même quand il n’était pas porteur de mauvaises nouvelles, il détestait rester à proximité de son supérieur. Le sentiment d’oppression qu’il ressentait en sa présence retomba dès qu’il fut dans le couloir. Mais son soulagement fut de courte durée quand il réalisa qu’il allait probablement passer plusieurs jours confiné avec le seigneur noir dans sa navette personnelle.

Vador reprit du début la lecture du compte-rendu, avec beaucoup plus d’intérêt cette fois. Deux cadavres d’Anzati avaient été retrouvés il y a trois jours sur les rives d’un canal d’irrigation, sur la planète agricole Ukio, dans la Bordure Extérieure. L’enquête menée par les autorités locales n’avait rien donné. Par chance, les corps, non identifiés, avaient été envoyés dans la ville de Masharo, où un médecin compétent avait pu procéder à une autopsie en règle. Ce dernier, un certain Sol Falosnik, natif de la planète, était déjà en poste lors de la guerre des clones. Il avait immédiatement reconnu des plaies occasionnées par une lame laser. Outre ces blessures mortelles, les Anzati possédaient déjà bon nombre de cicatrices antérieures, signe d’une vie mouvementée. Ils avaient une quarantaine d’années, étaient tous deux de sexe masculin, et en parfaite santé jusqu’à leur décès. Aucune arme n’avait été trouvée sur eux, mais il s’agissait probablement d’assassins ou de mercenaires, professions très prisées par les rares membres de cette race mystérieuse qui se mélangeaient aux autres peuples de la galaxie.

Il y avait donc un Jedi sur Ukio. C’était la seule information qui intéressait Vador. C’était aussi la seule motivation, pour ne pas dire obsession, de la vie du bras droit de l’Empereur : exterminer les Jedi jusqu’au dernier, et surtout, retrouver Kenobi. Bien sûr, il ne se faisait pas d’illusions. Les chances de tomber sur son ancien maître au hasard d’un rapport de bureaucrate de la Bordure extérieure étaient bien minces. Mais il traquait sans relâche le moindre indice révélateur de la présence de Jedi, et son réseau d’informateurs s’étendait dans toute la galaxie. Il devait continuellement cacher cette activité à son Maître, l’Empereur, dont les rappels à l’ordre répétés restaient ignorés. Vador prenait juste davantage de précautions pour ne pas être découvert. Il devait d’ailleurs trouver une excuse valable pour son prochain déplacement sur Ukio. Bah, il trouverait bien dans ses scandocs une trace d’une révolte à mater, ou un chantier militaire qui n’avançait pas assez vite. De toute façon, l’Empereur était maintenant tellement obnubilé par l’imminence de la mise en service de son arme absolue, l’Etoile Noire, qu’il laissait un peu plus de liberté à son disciple. Sa mission actuelle de pacification de la Bordure Extérieure ressemblait d’ailleurs davantage à un prétexte pour l’éloigner de Coruscant qu’à un véritable objectif prioritaire.

*

Une heure plus tard, la navette du seigneur Sith décollait du hangar du destroyer Le Dévastateur. Vador redoutait de recevoir une communication de l’Empereur, et de devoir justifier son voyage hors de sa zone d’intervention, mais il n’en fut rien. Le trajet jusqu’à Ukio de déroula sans incident, et moins de 24 heures standard après la réception du rapport, le vaisseau amorçait sa descente sur la planète agricole dont la mosaïque d’immenses parcelles cultivées était discernable depuis l’espace. Les codes prioritaires de la navette furent acceptés sans discussion par le contrôle aérien. Par radio, le capitaine Galist ordonna au chef de la police locale de les retrouver au bord du canal où avaient été retrouvés les cadavres des deux Anzati. La navette se posa en plein champ, écrasant les cultures de céréales sans vergogne, et le seigneur Vador se fraya un chemin à travers les plantations jusqu’au bord du chenal.

A cet endroit, le canal s’élargissait, et le courant, assez fort en amont, laissait place à une zone presque stagnante, bordée de bancs de sable et de limon. Il était normal que les cadavres se soient échoués ici, si on les avait jetés dans l’eau plus haut. Vador était tenté de remonter tout de suite la rivière, mais il attendit quand-même l’arrivée de l’officier de la police locale.

L’attente dura presque une heure, et, bien qu’il n’en montrât rien, la patience du seigneur Sith se mua peu à peu en colère. Son aide de camp préféra rester une dizaine de pas derrière lui, redoutant la suite des événements.

Lorsque le capitaine Biscoff arriva enfin, à bord d’un air-speeder, Vador ne perdit pas de temps en présentations :
– Capitaine, où en est votre enquête sur la mort des deux Anzati ?

Le pauvre officier ne comprenait que trop bien à qui il avait affaire. La propagande impériale diffusait fréquemment des reportages à la gloire du seigneur Vador. L’HoloNet le montrait tour à tour en train de pilonner une planète récalcitrante, de mater une révolte, ou d’exterminer des armadas pirates. Il parvint à peine à articuler :
– Nous n’avons pas pu les identifier, seigneur Vador. Nous avons envoyé les corps à la capitale continentale. Ils disposent de davantage de moyens que nous.

Biscoff espérait ainsi repasser la patate chaude à ses collègues de Masharo, mais Vador ne se laissa pas abuser :
– Je me moque de qui ils sont, capitaine. Je veux savoir qui les a tués. Avez-vous une idée ?
– Non, monseigneur. Nous n’avons pas encore trouvé.
– Avez-vous cherché au moins ? Quelles pistes avez-vous suivi ?
– Eh bien, en l’absence d’indices, nous n’avons pas vraiment de piste. Les deux Anzati étaient inconnus, le propriétaire de l’exploitation n’a rien vu ni entendu, et aucune information supplémentaire n’est redescendue de Masharo.
– Votre incompétence me consterne, capitaine. Vous auriez dû vous donner la peine de remonter le canal pour chercher d’où ces deux Anzati avaient été jetés à l’eau.

Il leva la main.
– C’est la dernière fois que vous me décevez.

Mais le capitaine Biscoff n’entendait déjà plus les paroles du seigneur noir. Il avait porté les mains à sa gorge, qui s’était soudain contractée et l’empêchait de respirer. La dernière chose qu’il ressentit avant de mourir fut le bruit de sa trachée qui s’écrasait, broyée par un étau invisible.

Sans se retourner, Vador ordonna d’une voix sans émotion :
– Suivez-moi, capitaine Galist. Nous avons déjà perdu trop de temps.

* *

Les deux hommes remontèrent le cours d’eau pendant plusieurs heures. Galist se demandait pourquoi ils n’utilisaient pas leur navette, ou un speeder. La vérité était que Vador désirait sentir son environnement. Il voulait être capable de percevoir la moindre perturbation de la Force. Et puis, il avait consulté un plan avant de descendre du vaisseau. Il savait que la prochaine écluse se trouvait à une vingtaine de kilomètres du lieu où avaient été découverts les deux corps. Ils avaient donc été jetés à l’eau sur ce tronçon.

A un moment, Vador s’arrêta pour scruter l’autre rive. Un chemin y longeait la berge. D’un saut prodigieux, sans élan, il franchit le canal et retomba accroupi de l’autre côté. Galist était sidéré. C’était la première fois qu’il voyait son supérieur accomplir un tel exploit. Mais après avoir bien observé le chemin et ses alentours, Vador le rejoint, d’au bond tout aussi extraordinaire. Et il reprit sa progression le long du cours d’eau sans prononcer une parole.

L’après-midi était déjà bien avancée quand les deux hommes parvinrent à un chemin de leur côté du canal. Des traces de chenillettes y étaient visibles. Sûrement un engin agricole. Vador les ignora et continua à remonter le cours d’eau, jusqu’à une intersection. Un autre chemin rejoignait le chenal, depuis l’intérieur des terres. On distinguait au bout de cette piste une sorte de cabane, adossée à un bosquet d’arbres. Vador annonça simplement :
– C’est là.

Il suivit cette nouvelle voie, puis s’immobilisa à une vingtaine de mètres de la hutte. Il sortit son sabre-laser, l’alluma, et ordonna à son aide de camp :
– Restez ici.

Ce dernier ne se fit pas prier.

* * *

Vador avança calmement jusqu’à la cabane, dont il ouvrit la porte d’un coup de pied. L’intérieur était sombre et spartiate, mais il put distinguer un lit contre le mur du fond. Un lit dans lequel était allongé un vieillard, dont la respiration difficile s’entendait depuis l’entrée. Vador s’approcha de lui. Ses draps étaient tachés de sang. Ses yeux mi-clos le fixaient.

Le Sith souleva la couette poisseuse, et découvrir une main décharnée qui tenait un sabre-laser. D’un geste rapide, il se saisit de l’arme et l’alluma. Une lame rouge en jaillit. Il l’éteignit. Ce n’était donc pas un Jedi qu’il avait sous les yeux. Mais qui ?

Vador reporta son attention sur le vieillard. Sa poitrine présentait d’horribles blessures. Les Anzati n’étaient pas morts sans combattre. Le vieil homme les avait vaincus, mais il n’allait pas tarder à mourir à son tour. Vador demanda :
– Qui es-tu ?

Le vieillard fut saisi d’une quinte de toux, visiblement douloureuse, mais ne répondit pas. Il continuait de fixer Vador, debout à son chevet. Ce dernier répéta :
– Qui es-tu ?

Toujours aucune réponse. Alors Vador plongea dans l’esprit du malheureux, et il fouilla. Des images, souvenirs de la vie du vieil homme, lui parvinrent de manière désordonnée : des vaisseaux, une foule, des combats, une réception, des dunes. Vador se concentra. Il s’était attendu à davantage de résistance, mais il arrivait à pénétrer les pensées du mourant assez facilement. Il recommença, et de nouvelles images lui apparurent : des champs, un palais, des banthas, des dunes. Tatooine ! Le vieil homme était allé sur Tatooine. Il râlait maintenant, essayant de lutter contre la profanation de son esprit, mais Vador était bien plus puissant. Il recommença à fouiller : des dunes, un palais dans le désert, … Le palais de Gardulla la Hutt ! L’ancien maître de sa mère, avant qu’elle ne devienne la propriété de Watto. Ebranlé, Vador n’en continua pas moins son exploration. Sa curiosité était à son comble, maintenant. Il voulait savoir, et imposa sa propre volonté à la faible résistance du vieillard, se focalisant sur cette partie de son passé. Et il vit alors ce qu’il redoutait : le visage de sa mère, Shmi Skywalker qui l’implorait, ses vêtements arrachés, sa mère qui tentait de se défendre, mais qui se retrouvait immobilisée au sol, une main gantée serrant son cou, son agresseur qui se couchait sur elle, … Vador cria :
– Nooon !

Sa propre main gantée serrait le cou du vieillard. Il hurlait en lui broyant la gorge, son esprit toujours perdu dans les souvenirs du vieil homme : la fin du viol, l’oubli forcé, sa mère allongée par terre, inconsciente.

Quand Vador arrêta de hurler, le capitaine Galist se tenait sur le pas de la porte. Son aide de camp le prenait de toute évidence pour un dément, mais hésitait à intervenir. Vador lâcha le cou broyé et releva sa main, dégoulinante de sang. Il respirait difficilement, et se sentait exténué. Il regrettait maintenant de s’être laissé submerger par sa colère. Il n’en apprendrait pas davantage sur ce vieillard, que la Force avait mis sur son chemin, et qui s’avérait être son géniteur. Mais qu’importe ! Il aurait déjà largement préféré ne pas savoir ce qu’il avait découvert : son père était un Jedi noir, qui avait violé sa mère, avant de lui effacer ce souvenir. Mais lui devrait vivre avec. Sans aucun espoir d’oublier.

Il essuya son gant sur les couvertures, passa devant Galist comme un fantôme, en lui glissant pour toute explication :
– Appelez la navette. Nous rentrons.

Parvenu à l’extérieur, Vador marcha jusqu’au canal. Il y jeta le sabre du vieillard. Les quelques minutes d’attente de la navette lui furent nécessaires pour recouvrer son calme. Il ne devait pas lire ainsi les pensées et les souvenirs des gens. C’était trop douloureux. Il savait ainsi qu’il était haï par la plupart de ses hommes. Il aimait être craint, mais pas être considéré comme un névrosé. Même le fidèle Galist le prenait maintenant pour un dément. Il valait mieux ne pas le savoir, et vivre retranché sans son propre esprit.

Il aurait aussi besoin de temps pour reconstruire ses propres défenses mentales. Il devait cacher ses véritables pensées et émotions à l’Empereur. Il allait devoir progresser, de ce côté-là. Ce serait son objectif pour les prochains jours, avant de revenir à Coruscant.

* * * *

A peine la navette avait-elle quitté l’atmosphère d’Ukio que Vador prit contact avec son destroyer. L’amiral lui annonça qu’une femme suspectée d’être un agent important de la Rébellion, la sénatrice Leia Organa, s’était enfuie de la planète Toprawa de manière suspecte. Elle devait à tout prix être interceptée avant son arrivée à Alderaan. L’amiral proposait de couper sa route aux abords du système de Tatooine pour la forcer à sortir de l’hyper-espace.

Vador fut soulagé de ne pas devoir rentrer immédiatement à Coruscant. Cette nouvelle mission allait lui permettre de reprendre le contrôle de lui-même. Il ordonna :

– Attendez-moi pour intercepter son vaisseau, amiral. Je rentre sur le Dévastateur immédiatement !

Tatooine, encore ! Trop de souvenirs. Il devait fermer son esprit…