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La migraine

publié le 29 janvier 2017

La migraine

– Lieutenant Andor, veuillez entrer s’il-vous-plaît !

Quand Cassian Andor, vit la tête de son supérieur, et son regard fuyant, il sut tout de suite que ce serait une mission de merde. Qu’allait-on lui demander cette fois ? Allait-il devoir « effacer » un agent double, « supprimer » une menace ou « faire taire » un témoin ? Autant de mots qui signifiaient « tuer » dans la bouche des bureaucrates du service Opérations, mais qui étaient hypocritement employés pour éviter d’affronter la réalité de ce qui était décidé dans ces bureaux, et exécuté par les agents de terrain comme lui.

Enfin, il ne leur en voulait pas. Il savait que la guerre ne se gagnerait pas sans ces opérations clandestines. Le temps des Chevaliers Jedi et des tribunaux était révolu. L’ennemi qu’il combattait agissait de manière plus ignoble que ce qu’il ne pourrait jamais faire lui-même. Au moins, il ne prenait aucun plaisir à tuer. Au contraire, ce genre de besogne lui répugnait toujours. C’est ce qui le rassurait : il avait gardé sa part d’humanité. C’était juste le contexte qui exigeait ces mesures radicales…

Cassian Andor sortit de sa songerie et s’assit sur le siège que lui désignait son supérieur. Et il écouta son exposé.

– Cassian, nous avons un problème…

*

La cité de Corsin, capitale de la planète éponyme, était coincée entre son astroport civil, fréquenté tous les jours pas des millions de voyageurs, et l’astroport militaire, réservé à la flotte impériale. Sa position à la jonction de la route d’Hydian et du Couloir Commercial de Vaathkree en faisait une plaque tournante du commerce, mais aussi un emplacement stratégique pour la Marine, qui y avait établi une importante base logistique.

On pouvait trouver tout ce qu’on voulait dans les magasins locaux, et les centres commerciaux de 50 étages côtoyaient les petites échoppes mal éclairées. La ville grouillait de monde à toute heure, et la police était assurée par une importante garnison impériale.

En débarquant de la navette qui l’avait conduit sur Corsin, Andor se mêla à un groupe d’hommes d’affaires pour passer les contrôles douaniers. Sa propre mallette n’attira pas l’attention des gardes, qui ne le fouillèrent même pas. Soulagé, il prit un glisseur pour se rendre au centre de la cité, et suivit d’un œil distrait les informations diffusées dans la rame via l’HoloNet. En réalité, il observait les voyageurs à ses côtés, cherchant à imprimer leur visage dans sa mémoire, au cas où l’un d’eux serait un agent du BSI en filature. Il erra ensuite pendant plus d’une heure dans les rues commerçantes du centre pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Il en profita pour acheter un plan interactif de la ville. Puis, une fois certain qu’il n’était pas surveillé, il prit un autre glisseur qui l’emmena dans un quartier moins fréquenté, dans les faubourgs de Corsin.

Une fois arrivé, il déjeuna dans la première cantina qu’il trouva. Avant de partir, il s’enferma dans les toilettes, se changea, et assembla le pistolet qui était en pièces détachées dans le double-fond de sa mallette. L’arme, dissimulée sous son manteau, était indécelable à moins de procéder à une fouille corporelle. Maintenant prêt à accomplir sa mission, il se rendit à pied dans une rue adjacente, à l’extrémité de laquelle on pouvait distinguer la haute grille électrifiée barrant l’accès à la zone interdite qui séparait la cité de l’astroport militaire.

Repérant une gargote qui donnait sur la rue, il s’installa à une table attenante à une fenêtre, sortit son datapad, et fit mine de travailler. Il y resta tout le reste de la journée, et la première partie de la soirée.

* *

Quand enfin il reconnut l’homme qui sortait d’un bâtiment un peu plus haut dans la rue, il laissa une poignée de crédits sur la table, fourra son datapad dans sa mallette, et sortit. Il laissa l’homme disparaître au coin de la rue, puis pressa le pas pour le rattraper. Une fois à son niveau, il l’aborda :
– Gal Svenson ?

Puis, un ton plus bas, pour que les passants ne l’entendent pas :
Capitaine Gal Svenson ?

L’autre se raidit, sur la défensive.

Andor le poussa doucement du bras, pour qu’ils reprennent ensemble leur marche, et il embraya :
– Notre maison mère m’envoie auprès de vous. Le patron a peur que vous fassiez une immense bêtise…
– Alors, vous êtes venu pour me relever de mes fonctions ?
– Non, j’ose espérer que je saurai vous convaincre que votre démarche serait contre-productive. Nous devons tous coopérer, si nous voulons avoir l’espoir de réussir un jour. Prendre une initiative contraire aux ordres serait… préjudiciable à notre cause.
– J’ai toujours respecté la hiérarchie, cher confrère…
– Appelez-moi Andor, Cassian Andor.
– Eh bien, Monsieur Andor, j’ai toujours servi loyalement les intérêts de la maison mère. Mais en ce cas précis, ma conscience me dicte une position qui n’est pas comprise, et pas acceptée, par notre hiérarchie. Mais je sais pourquoi j’ai rejoint notre compagnie, et quel idéal je sers. Je trahirais cet idéal si j’agissais autrement. Les dirigeants de la maison mère sont bien tranquillement installés dans leur bureau ou leur corvette. Ils ne sont pas sur le terrain et ne vivent pas au milieu des populations. J’ai fait un choix, et je l’assumerai. Si la maison mère veut se séparer de moi, je l’accepterai.
– J’ai peur que vous ne compreniez pas bien la situation, Monsieur Svenson. Il est hors de question que vous preniez une quelconque initiative. Cela mettrait en danger la… filiale que vous dirigez sur cette planète, et anéantirait des mois d’efforts. Les informations que vous pouvez collecter ici peuvent s’avérer cruciales pour gagner un… marché… bien plus important, et bien plus stratégique. Le profit que vous visez à court terme réduira à néant toute entreprise ultérieure de plus grande envergure.

Svenson s’arrêta, et poussa Andor de manière ferme vers l’entrée d’une impasse obscure. Il commençait à perdre son calme, et c’est sans plus aucune retenue qu’il se mit à débiter :
– Savez-vous de quoi on parle, au moins, Monsieur Andor ? Savez-vous quelle est la mission qui m’a été confiée sur Corsin ? Je ne suis pas sûr que vos supérieurs vous aient tout dit. Nous avons réussi à placer un micro-espion dans la salle de contrôle de l’astroport impérial. Depuis l’immeuble que je viens de quitter, nous pouvons écouter ce que trament les Impériaux, et connaître certains de leurs plans de vols…
– Je sais tout ça. Et je sais même qu’un agent est mort pour placer ce micro dans le droïde de sécurité que vous avez introduit dans les lieux. Voulez-vous gâcher son travail et son sacrifice en éventant ce secret ?
– Non, vous ne savez rien, Monsieur Andor. Vous ne savez pas à quel point cet agent était bon et respecté. Il aurait donné sa vie sans hésiter pour en sauver cent autres. Et c’est de ça dont il est question aujourd’hui. Nous avons appris, grâce au mouchard, que les Impériaux allaient étendre leur base, et raser deux villages qui se trouvent sur le terrain convoité. Ils vont déporter tous ces gens, Andor, les dé-por-ter. Sur Kessel ou ailleurs. Pas un n’en réchappera. En nous pouvons empêcher ce massacre, en les prévenant, pour qu’ils fuient avant la date fatidique. Nous pouvons sauver deux cents ou trois cents vies en agissant ainsi. Il s’agit de familles, Andor. Des femmes et des enfants.
– Je sais cela, et le commandement sait cela également. Mais en attendant un peu, nous pourrons apprendre des informations capitales, pour mener une attaque surprise contre un convoi, ou un objectif militaire stratégique. Ce micro a été placé pour ça ; il doit nous permettre de frapper un grand coup, et de gagner une importante bataille contre l’Empire.
– Andor, j’ai déjà fourni ce genre d’informations à l’Alliance. Plusieurs fois. Il y a dix jours, je leur ai servi un convoi d’armement sur un plateau. Ils n’ont rien fait. Le Haut-Commandement n’arrive jamais à se mettre d’accord. Ils ne prennent aucune décision. Ils n’agissent pas. Alors moi, je compte agir. A ma manière, et pour le bien des peuples que nous nous sommes promis de délivrer un jour. Même si c’est la dernière action que je dois accomplir en tant que membre de la rébellion.

Svenson n’eut pas le temps de finir sa phrase. Andor avait discrètement sorti son pistolet, et venait de tirer à bout portant une aiguille dans les reins de son interlocuteur, qui s’écroula à ses pieds sans un bruit.

Andor se pencha sur le corps sans vie, fouilla ses poches pour y prendre ses papiers d’identité ainsi que tout ce qui pouvait avoir de la valeur, et murmura :
– Je suis sincèrement désolé, capitaine Svenson. Un bon soldat ne doit pas prendre ce genre d’initiative. Nous avons une guerre à gagner.

* * *

Trois heures plus tard, Cassian Andor montait à bord d’une navette. Pour le retour, il n’avait pris aucun risque. Son arme, ainsi que l’argent dérobé sur le corps de Svenson, avaient été jetés dans un conduit d’égout. Il avait également détruit les papiers d’identité du mort.

Andor avait mal au crâne. Cela lui arrivait souvent, lorsque le stress de la mission retombait. Mais sa conscience lui chuchotait que cela lui arrivait surtout lorsqu’il n’était pas fier de ce qu’il avait fait.

Ce soir-là, il avait une migraine terrible.