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Survivances

publié le 17 janvier 2018 (modifié le 18 janvier 2018)

Survivances

Avec l’aide de ses compagnons Jon et Fitch, Cassian Endor escalade le mur d’enceinte de la propriété du baron du crime Grula Cardiula. Le rempart est rudimentaire, et n’est même pas doublé par un champ de force ou un grillage électrique. Les trois hommes ont juste eu à désactiver un réseau de surveillance basique. La sécurité sera renforcée aux abords de la villa, songe Andor.

Fort heureusement, il n’aura pas besoin d’y pénétrer. Sa mission consiste juste à scanner puis identifier les invités de Grula Cardiula, avant qu’ils ne remontent dans leur landspeeder aux vitres teintées. Ils sont arrivés il y a une demi-heure à peine, et l’Alliance les soupçonne fortement d’être des hauts-fonctionnaires impériaux venus chercher leur pot-de-vin au domicile du chef de gang. Faire chanter ces ripoux pourrait rapporter de précieux renseignements à l’Alliance.

Pour l’heure, Cassian Andor cherche une cachette d’où il pourra observer l’entrée de la demeure. Il aperçoit bientôt le speeder, auquel sont nonchalamment adossés le chauffeur et un garde du corps. Tous deux sont en train de fumer une cigarette corellienne en discutant. L’agent rebelle n’entend pas leurs paroles, mais il voit, à travers ses macro-jumelles, leurs lèvres bouger. Je devrais apprendre à lire sur les lèvres, se dit-il. Cela pourrait parfois m’être utile.

Dissimulé derrière un arbre, il filme pendant quelques secondes les deux hommes, au cas où ces seconds couteaux soient identifiables. Son communicateur ne lui permet pas d’entrer en contact avec ses compagnons. Il y a sûrement un brouilleur, conclut-il. Cardiula a tout de même pris quelques mesures de sécurité discrètes...

Soudain inquiet, il observe les arbres autour de lui. Un détecteur ou une caméra lui aurait-il échappé ? Lors de leur repérage, ses hommes et lui n’avaient remarqué qu’un mur de force transparent qui ceinturait la maison... Négligeant pour un instant l’entrée du bâtiment, Cassian Andor scrute le parc autour de lui. Un senseur optique lui permet de capter différentes longueurs d’ondes : infra-rouges, perturbations magnétiques, rayonnements gamma, ultrasons, ...

Un craquement dans le sous-bois attire son attention. Il braque ses macro-jumelles dans la direction du bruit, et augmente artificiellement la luminosité. Malgré lui, il pousse un juron. Un quadrupède avec de longues épines sur le dos et des crocs comme des lames de couteaux est en train d’avancer lentement dans sa direction, les naseaux reniflant l’air ambiant. Un massiff ! La surveillance du parc est assurée par un massiff ! Cette créature à sang froid n’est pas décelable aux infrarouges...

Andor hésite entre s’enfuir ou grimper dans un arbre. En un instant, sa décision est prise. Il n’a pas envie de rester prisonnier dans le parc. Dégainant son blaster, il se met à courir le plus vite possible vers le mur d’enceinte. Il entend derrière lui le monstre bondir par-dessus les fourrés, et lutte pour ne pas se retourner tout de suite. Il court encore vingt mètres comme un dératé, et sent maintenant le massiff juste derrière lui. Après avoir dépassé un arbre, il se jette au sol en se retournant, et lâche deux décharges de blaster. Le premier coup manque le monstre, mais le second le touche à l’épaule.

Andor se relève et repart avant que l’animal ne bondisse sur lui. Le massiff est à peine blessé, et se lance immédiatement à sa poursuite. Il n’a plus que quelques foulées d’avance, et le mur est encore à quinze mètres. Andor lâche son blaster, et court avec l’énergie du désespoir. Il aperçoit Fitch au sommet du mur. Une dernière foulée et il prend son impulsion pour agripper le haut du rempart. Une douleur fulgurante déchire sa cuisse droite. Stoppé net dans son élan, il retombe avant d’avoir pu saisir la main de Fitch. Sa jambe est broyée dans la mâchoire du monstre. Il hurle de douleur...

— AAAHHHHH !

Cassian Andor se réveilla en sursaut. Il était couvert d’une sueur glacée, et sa cuisse le faisait atrocement souffrir. Il était couché dans le noir, la jambe coincée dans un étau. Il tenta de se retourner mais ne parvint qu’à déclencher une douleur plus forte encore. Il se redressa sur son séant... Il était dans un lit. Un lit d’hôpital. Tout lui revint. Il se trouvait dans le cargo Espérance, capturé par l’Alliance rebelle, puis reconverti en vaisseau-hôpital. Il était sorti de la cuve à bacta depuis deux jours, pour laisser la place à d’autres, encore plus mal en point que lui... Il était tiré d’affaire. Jon et Fitch avaient abattu le massiff et l’avaient extrait de la propriété.

Il survivra. Peut-être même en gardant sa jambe...

*

Les séances de rééducation rythmaient désormais le quotidien de Cassian Andor. Les os s’étaient ressoudés. Les chairs avaient cicatrisé, mais il avait l’impression qu’elles s’étaient recollées au mauvais endroit, tellement les mouvements étaient douloureux. A chaque pas, il avait l’impression que ses muscles allaient se déchirer de nouveau. Même avec le recours à la synthéchair, sa cuisse droite était deux fois plus mince que la gauche. Le dermélast qui recouvrait sa jambe masquait tant bien que mal les greffes et les cicatrices. Mais il avait insisté pour garder sa jambe comparable à une mosaïque, dût-il boiter douloureusement jusqu’à la fin de sa vie. Il détestait les prothèses cybernétiques. Il aurait eu l’impression de perdre encore un peu de son humanité. Déjà que cette qualité lui faisait défaut...

La porte de sa cabine s’ouvrit, pour laisser passer une infirmière en tenue verte. C’était Salmyia. Il était déçu mais n’en laissa rien paraître, et il lui sourit.
— Comment allez-vous aujourd’hui, sergent Andor ?
— De mieux en mieux je pense. Je viens de débrancher l’appareil de stimulation musculaire. J’ai fait une séance de presque une heure. J’ai cru mourir dix fois mais tout a tenu bon.
— Bien. Voulez-vous que je vous aide à aller jusqu’à la douche ?

Andor hésita. Il aurait préféré attendre la venue de Loisilis, mais il accepta cependant la proposition de l’infirmière. Appuyé sur son épaule, il sautilla plus qu’il ne marcha vers la cabine de douche à ultrasons. Le visage déformé par un rictus de souffrance, il s’affala enfin sur la chaise, tandis que Salmyia refermait la porte derrière lui. Il appuya sur le bouton, et tenta de faire le vide dans ses pensées le temps que la douleur s’estompe.

* *

Trois semaines plus tard, Cassian Andor pouvait marcher avec une canne. Son état physique et mental n’avait cessé de s’améliorer. Son corps se réparait, lentement, mais il continuait à faire des progrès chaque jour, ce qui laissait espérer des séquelles pas trop handicapantes. Il avait quitté sa cabine médicalisée pour rejoindre un dortoir occupé par d’autres soldats ou agents convalescents. Cette compagnie lui faisait du bien : il pouvait bavarder avec des individus qui partageaient le même idéal que lui, et qui menaient la même guerre. Il se sentait moins seul. Moins différent.

Et surtout, il avait démarré une idylle avec la belle Loisilis. Originaire de Naboo, la jeune infirmière avait rejoint la résistance locale, puis la Rébellion, lorsque son frère, engagé dans la marine impériale, lui avait relaté les exactions commises par les Stormtroopers sur les planètes qui ne coopéraient pas pleinement avec l’Empire. Ecœuré, lui même avait déserté à l’occasion d’une permission, et il avait rejoint depuis le corps naissant des SpecForces.

L’Alliance rebelle s’organisait, petit à petit. Ce vaisseau-hôpital en était un bel exemple. Sans cesse en mouvement, il recueillait les soldats blessés qu’une poignée de transporteurs, les seuls vaisseaux de la flotte à connaître son itinéraire à l’avance, amenaient tous les deux ou trois jours. L’Espérance ne se trouvait pas avec le reste de la flotte, par mesure de sécurité. Cassian Andor devinait pourquoi : il fallait éviter qu’un agent ennemi, se faisant passer pour un blessé, ne puisse amener une balise hyperspatiale à proximité du commandement rebelle. Seul, le vaisseau-hôpital ne constituait pas un objectif pour l’Empire — du moins le sergent Andor l’espérait-il.

Cependant, le moral au beau fixe de l’agent rebelle commençait à s’effriter. Il passait de plus en plus de temps à parcourir les coursives, claudiquant, la mine renfrognée, appuyé sur sa canne. Certes, le droïde-médecin qui suivait son dossier lui avait recommandé de marcher, mais il doublait volontairement la durée de ses séances. Il connaissait le complexe par cœur, à force de le sillonner en tous sens.

Bien que l’heure de la pause de Loisilis fût déjà arrivée, il continua de marcher...

Je dois lui parler, se dit-il.

* * *

Cassian Andor s’était enfin résolu à aller à la rencontre de Loisilis. Après avoir échangé un baiser, et lutté intérieurement contre l’envie de remettre à demain la discussion qu’il se devait d’avoir avec elle, il se recula.
— Je dois te parler, dit-il.

Le sourire de la jeune femme disparut aussitôt. Les yeux plongés dans les siens, elle attendit qu’il poursuive.
— J’ai demandé qu’on me donne une nouvelle affectation, avoua-t-il.
— Mais... Tu m’avais dit que tu voulais rester ici... Tu voulais rejoindre l’équipage de l’Espérance !
— Oui, je le voulais. Ce que je désirais plus que tout, c’est rester auprès de toi. Mais je me rends compte maintenant que ce n’est pas une vie pour moi. Non, attends ! Je me suis mal exprimé... Je t’aime, et les quelques semaines que nous avons passées ensemble resteront les plus belles pages de ma vie. Mais je sens déjà l’inaction qui me ronge de l’intérieur. Hier, j’ai failli me bagarrer avec un de mes compagnons de chambrée. Je dois partir, et continuer à me battre comme je l’ai toujours fait. Je ne sais faire que ça...
— Mais tu as déjà fait plus que ta part de sales besognes. Tu pourrais demander une affectation moins exposée. Une base où je pourrais te rejoindre...
— Oui, je pourrais... Je devrais peut-être me mettre en retrait, en espérant que cette foutue guerre soit finie avant que je n’aie des cheveux blancs, ou, plus probablement, que je me fasse trouer la peau par un tir de blaster. Mais cet idéal de vie, auquel aspire toute personne sensée, n’est pas pour moi. Je ne sais pas ce qu’est la paix, Loisilis. Je n’ai connu que la guerre, d’aussi loin que je me souvienne. Je me suis menti, et je t’ai menti, en te promettant autre chose. Toi, tu es faite pour la paix. Pour fonder un foyer et avoir des enfants. Tu sauves des gens, alors que moi je les détruis. Et je ne veux pas te détruire en liant ton existence à la mienne. Dans quelques jours, je partirai d’ici. J’aurai des regrets, c’est sûr, mais j’aurai au moins appris une chose. Désormais je sais pourquoi je me bats. Ce n’est plus seulement par vengeance ou par idéal. C’est pour que des gens comme toi puissent vivre un jour heureux, dans un monde en paix.
— Dis plutôt que tu veux trouver mieux ailleurs, maintenant que tu sais que tu vas te rétablir...
— Ce n’est pas vrai et tu le sais.

S’approchant d’elle, il la prit doucement dans ses bras.
— Pardonne-moi...

* * * *

Trois semaines plus tard...

Loisilis venait de terminer sa tournée des patients, et elle allait prendre sa pause, lorsqu’elle aperçut le droïde médical 2-1B-7 qui sortait d’une chambre. Elle se lança à sa suite dans le corridor et le rattrapa juste au moment où il atteignait le sas séparant la coursive des patients de celle menant aux réserves de médicaments.
— 2-1B-7, je voudrais savoir... sais-tu pratiquer toutes les opérations possibles sur les humains ?

Tout en tournant ses yeux inexpressifs vers elle, il répondit :
— J’ai été programmé pour accomplir 8127 opérations différentes sur des humains, dont 2342 selon plusieurs variantes !
— Et... sais-tu pratiquer... une interruption...
— Une interruption de quoi ?

Loisilis hésita quelques instants, le regard dans le vague, puis finit par répondre :
— De rien, 2-1B-7. De rien ! Oublie tout ça...

Sans autre explication, elle repartit d’où elle était venue.